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Leçon inaugurale prononcée

« Mieux servir l’Etat : grandeurs et exigences »

Leçon inaugurale prononcée

par

Boubacar CAMARA
Docteur en droit,
Inspecteur général d’Etat,
Secrétaire général du Ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Energie

Dakar, le vendredi 14 janvier 2011

Pour être honnête avec vous, je dois dire que lorsque je fus informé du choix porté sur ma modeste personne pour délivrer la présente leçon, je me suis interrogé sur ce qui pouvait justifier cet honneur.

Je me suis dit que l’Université a quand même pris un gros risque…

Moi qui suis encore entrain d’apprendre de la vie des leçons encore non sues, comment puis-je en donner ?

Je me suis posé cette question malgré le fait que, selon Pierre Bourdieu , «on devrait pouvoir prononcer une leçon, même inaugurale, sans se demander de quel droit» car «l’institution est là pour écarter cette interrogation ».

De plus, bien qu’étant un produit de l’Université, je l’ai toujours fréquentée en même temps que j’arpentais les couloirs de l’administration, comment se fait-il alors que ma casquette d’universitaire puisse me rattraper en de si honorables circonstances ?

Monsieur le Représentant du Ministre,
En écoutant Messieurs le Recteur et le Doyen, je crois comprendre que le choix de la prestigieuse Université Cheikh Anta Diop n’est pas étrangère à leur généreuse appréciation de mon sinueux parcours, des efforts que j’ai essayés de déployer, dans des conditions parfois difficiles, pour résister à la facilité.

Monsieur le Recteur,
Monsieur le Doyen,

Je suis très sensible aux paroles aimables que vous venez de prononcer à mon endroit.
Je vous en remercie bien vivement.

Venant de vous, ces paroles respirent l’objectivité car vous êtes connus comme des hommes d’honneur armés d’une honnêteté intellectuelle jamais démentie.
Monsieur le Recteur,
Pour me demander de dire le peu que je sais, vous m’avez enfilé une robe, une belle et prestigieuse robe, reconnaissons-le même si elle est lourde à porter devant un parterre de distingués intellectuels et d’éminents maîtres !

En plus du fait que la votre est plus belle que toutes les autres (n’est ce pas que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute!), vous avez séduit votre auditoire grâce à la vision futuriste de l’Université que vous venez de dérouler si brillamment.

Je vous en félicite et vous souhaite une excellente réussite dans vos (encore nouvelles) fonctions de Recteur.

Mais ce que j’ai surtout retenu en vous écoutant, c’est votre belle plume!

Il semble qu’il n’y a plus ni encrier, ni encre, ni buvard, ni plume à l’école élémentaire.
Il semble que les jeunes élèves ne sont plus terrorisés par la crainte de la punition du maître à cause des taches laissées sur les feuilles de leurs cahiers.

Je peux donc me permettre de vous emprunter votre plume pour écrire les pages qui vont suivre, même si je suis conscient de mon insuffisante habileté à l’utiliser correctement. Je me contenterai de griffonner des « pattes de mouches » à défaut de dotation par l’Etat d’un cahier aux lignes ordonnées, comme ce fut le cas dans ma tendre jeunesse.

Monsieur  le Recteur,
Permettez-moi de remarquer que vous avez mis tellement de coeur et d’engagement dans l’organisation de la cérémonie qui nous réunit aujourd’hui que vous méritez de chaleureuses félicitations.
Monsieur le Doyen,
Je n’ai pas eu la chance de fréquenter vos classes durant mon séjour à la Faculté de droit. Classes d’où fusait l’appréciation unanime que font les étudiants de votre compétence et de votre sérieux.
J’ai eu l’occasion de me rattraper ou – devrais-je dire- de me faire rattraper par le Professeur…..
Vous l’avez peut être oublié…lorsque je passais le concours d’entrée à l’Inspection générale d’Etat en février 2000, vous étiez membre du jury.
Votre question portait sur le commerce électronique…Quel esprit d’anticipation !

Les étudiants disaient aussi que votre voix tonne. Je ne suis donc pas surpris par le tonnerre d’applaudissements qui a accompagné votre allocution.

Votre voix « dégage », pour reprendre l’expression prisée par mes classes d’armée, avec qui j’ai partagé la gamelle numérotée du soldat et le chant matinal, dans les rangs, sous le drapeau national …( je les salue au passage par un garde à vous respectueux…).

Monsieur le Doyen et Cher Professeur
C’est toujours le cas, votre voix tonne et je prie qu’elle continue de remplir les amphithéâtres de l’Université et de diffuser ce savoir, source de lumière.
Mesdames, Messieurs
Permettez-moi de vous dire que je suis particulièrement honoré de me retrouver dans l’enceinte de l’Université qui porte le nom d’une personnalité  que j’ai eu le privilège de connaître personnellement. Je veux nommer le Professeur Cheikh Anta DIOP. Il m’a laissé le souvenir d’un homme engagé pour la science au service de l’Afrique.
Que Dieu l’accueille dans son paradis..

Mon émotion ne faiblit pas quand je m’aperçois qu’une autre personnalité, lui aussi absent de ce monde, a occupé ce fauteuil pour se soumettre à l’exercice  qui m’échoit aujourd’hui. Cet illustre homme, aux qualités morales et professionnelles reconnues de tous, m’avait spontanément adopté et considéré comme son fils. Vous avez compris que je veux parler du juge Kéba MBAYE.
Que Dieu l’accueille dans son paradis..
Ce siège a également été occupé avant moi par d’éminentes personnalités parmi lesquelles le Professeur Abdoulaye WADE, Président de la République du Sénégal.

Monsieur le Doyen, vous venez de rappeler l’attention qu’il a portée à mes travaux universitaires. C’est avec la même obligeance qu’il a suivi mon parcours professionnel.  Je l’en remercie bien sincèrement.

Il m’a, alors jeune inspecteur des douanes et fraichement admis à l’Inspection générale d’Etat, promu au poste de Directeur général des Douanes. Ce faisant, il m’a offert l’occasion de servir mon pays à une position hautement stratégique et surtout il m’a permis de tester en grandeur nature la pertinence des valeurs que mes parents se sont évertués à placer dans ma petite tête (qui n’est d’ailleurs pas si petite que ça).

Le passage à la tête de la prestigieuse administration douanière m’a permis de vivre une riche expérience. Encore aujourd’hui, même si j’en ai quitté le vêtement, la douane est devenue une peau qui me colle à la chair.
Merci d’être venus, chers gabelous. Je sais que vous êtes nombreux dans cette salle.

Se trouve parmi vous, un gabelou sans uniforme, un « doganériste ».  Ne cherchez pas ce mot dans le dictionnaire, il s’agit d’un néologisme pour désigner le spécialiste en droit douanier. On lui doit cette appellation. On lui doit également le livre de référence sur le droit douanier. Je veux nommer mon Maître, Claude J. BERR, Professeur émérite à l’Université Pierre Mendes France de Grenoble et éminent membre de l’Observatoire des Réglementations douanières et fiscales (ORDF).
Je retiens de lui le don de rendre attirant et clair un sujet complexe et ardu.
Cher Maître,
Votre présence m’honore. Merci pour tout.

Vous allez retrouver vos collègues du Sénégal dont je garde un excellent souvenir. Parmi eux, le Professeur Jacques Mariel NZOUANKEU que vous connaissez bien et que je salue respectueusement.

Sa rigueur et son professionnalisme m’ont été d’un grand apport. Pourtant, à plusieurs reprises, je me suis mis à regretter d’avoir porté mon choix, pour l’encadrement de mes travaux, sur ce professeur qui ne «pardonne» rien d’autre qu’un travail scientifique.
Mais, à chaque fois, je suis revenu à lui, conscient d’avoir réalisé un pas important grâce à ses critiques  et observations pertinentes.

Sans abuser du privilège que j’ai de m’adresser à vous, je voudrais remercier tous ceux qui se sont déplacés pour assister à la cérémonie d’aujourd’hui. Permettez moi d’accorder une mention spéciale aux agents du ministère dans lequel je travaille et à la tête duquel se trouve le Ministre d’Etat Karim WADE que je salue fraternellement et qui est représenté par mon collègue, son Directeur de cabinet, Abdoulaye Racine KANE.

A mes parents, j’exprime mon profond respect et mon attachement indéfectible (Que Dieu leur prête longue vie ! Amine).

Permettez-moi de pronostiquer que si ma mère, à qui j’exprime ma profonde gratitude, était dans la salle au moment où j’y entrais, elle aurait écrasé une larme et se serait discrètement écriée «Alam Nasra»! en guise de prière pour me faciliter la redoutable épreuve d’une leçon inaugurale.

Elle m’aurait jeté le même regard encourageant que je viens de lire sur le visage des femmes et des hommes qui remplissent cette salle, regard qui m’indique qu’il est temps de prendre mon courage à deux mains et de parler de l’Etat, plus précisément du sujet :
« Mieux servir l’Etat : grandeurs et exigences »
Vaste programme!

J’ai reçu deux objections dès la formulation du sujet.
La première vient d’un ami, brillant juriste, qui rectifie aussitôt « exigences et grandeurs » au lieu de « grandeurs et exigences ». Son argument fut que l’accent doit être mis sur les exigences du service à l’Etat pour justifier les grandeurs qui s’ y attachent.

La seconde objection est formulée par un éminent professeur de droit. Il propose de remplacer « Mieux servir l’Etat » par « Servir l’Etat ». Son argument repose sur la neutralité dont le titre doit rendre compte, le soin serait alors laissé aux développements ultérieurs pour découvrir le point de vue adopté.

Comme je suis têtu, j’ai maintenu la formulation de départ.
Plus sérieusement…..
A la première réserve, j’ai répondu que j’ai envie de rappeler les grandeurs qui s’attachent au service à l’Etat et qu’on a tendance à oublier à cause de plusieurs facteurs sur lesquels je reviendrai tout à l’heure. C’est seulement après que j’énoncerai « le prix à payer » à travers les exigences attendues pour mieux servir l’Etat.

A la seconde réserve, j’ai répondu que j’ai envie de prendre le parti, dès le départ, de plaider pour un meilleur service à l’Etat et m’inscrire ainsi entre un idéal impossible à atteindre et une réalité qui doit être améliorée.

La problématique du service à l’Etat repose fondamentalement sur la légitimité de cette institution.  L’Etat n’est pas une vue de l’esprit, il est le fruit d’une évolution historique, tantôt comme une solution à une situation conflictuelle à surmonter, tantôt comme une source potentielle d’un problème de société.

Solution ou problème, l’Etat moderne a triomphé et c’est la première justification du service à l’Etat. Ce triomphe parfois laborieux, souvent relativisé ou même contesté, peut être considéré comme une donnée constante dans le monde d’aujourd’hui.
Chacun d’entre nous se reconnaît à travers un Etat. Il ne s’agit pourtant pas d’une simple question de sentiments, c’est une question de droit. Pour reprendre Hans Kelsen « on ne peut pas trouver le principe d’unité des hommes qui forment le peuple d’un Etat ailleurs que dans le fait qu’un seul et même ordre juridique est en vigueur pour tous ces hommes, et règle leur conduite ».

Je m’entends bien, je parle des Hommes avec H majuscule…donc les femmes incluses.. Il semble que c’est de cette façon qu’on faisait comprendre aux femmes qu’elle ont leur place dans l’humanité.. Avec la reconnaissance de la parité, le débat pourrait être clos , en attendant que nos braves femmes revendiquent de prendre en charge la dépense quotidienne, pour celles qui ne le font pas encore….
Je saisis cette occasion pour rendre hommage à mon épouse. Merci pour ta douceur, ta générosité et ton courage digne d’une Linguère du Djolof que tu es.

A coté du peuple de l’Etat, le territoire, espace nettement délimité, à trois dimensions (surface terrestre, sous sol et espace aérien), constitue le domaine de validité de l’intervention de l’Etat.
Vient ensuite, le pouvoir d’Etat, cette « puissance » qui dote une partie du peuple de l’Etat, d’instruments de la puissance publique pour « commander » et se faire « obéir » par les autres et les représenter au plan international.

Population, territoire et pouvoir d’Etat, tels sont les éléments constitutifs de l’Etat.
Le  cadre ainsi fixé induisant la mise en oeuvre de fonctions dont l’exercice appelle le couple commandement/obéissance, pose la question de savoir à quelles conditions doit-on attribuer à l’Etat l’acte posé par un citoyen.

En effet, c’est seulement lorsque on peut, sans incertitude, faire endosser à l’Etat l’acte de celui qui agit en son nom que l’on peut aborder la question du service à l’Etat. Il s’agit de servir l’Etat et non de se mettre au service de celui qui agit indument au nom de l’Etat.

Cette précision faite, le citoyen est alors en droit de s’interroger sur les justifications, pourquoi pas sur les grandeurs, qui s’attachent à servir l’Etat et même à mieux le servir.

A quoi lui sert l’Etat pour qu’il consente à le servir ?
La réponse à cette question est évidente pour le citoyen fonctionnaire ou agent public, employé par l’Etat. Liés à celui ci par un contrat formel, les fonctionnaires et autres agents de l’Etat sont les animateurs quotidiens de son administration.
Pourtant, la question dépasse la personne de l’agent public. Serviteurs de l’Etat, nous le sommes tous, à des degrés divers. Nous servons sous contrat ou sans contrat.

Dans notre action quotidienne, nous échangeons des services avec l’Etat dans un cadre supposé gagnant-gagnant même si l’équilibre de cette relation est souvent mis à rude épreuve. Il n’en demeure pas moins que l’institution étatique, parce que indispensable et au service du citoyen, doit rester fort et organisé.

Pour atteindre cet objectif,  les exigences sont nombreuses, à la charge de l’Etat comme du citoyen. Mais disons le tout net, les exigences qui pèsent sur l’Etat et précisément sur l’Homme d’Etat ou celui qui en fait office ainsi que sur l’administration mise à sa disposition, sont essentielles.
Du respect de ces exigences, dépend l’acceptation par le citoyen des incommodités qui accompagnent forcément l’intervention de l’Etat, parmi celles-ci on peut citer la lourdeur de sa machine, son impersonnalité et son pouvoir de coercition.
Nous passerons en revue ces exigences. Auparavant, nous visiterons les contours de l’Etat pour  mettre en exergue les raisons pour lesquelles des grandeurs sont tirées du service à l’Etat.

Première partie :
GRANDEURS A SERVIR L’ETAT

Malgré le discours ambiant sur la relégation au second plan de l’Etat, il demeure un acteur clé de la vie économique et sociale surtout dans les pays insuffisamment développés. Il n’en a pas toujours été ainsi.

Par ailleurs, à travers les fonctions qui lui sont dévolues et qui embrassent des secteurs  étendues en vue de répondre à des préoccupations pressantes du citoyen, l’Etat est organisé pour garantir l’équilibre entre l’intérêt général et les intérêts particuliers.

La perception que le citoyen a des desseins poursuivies par l’Etat triomphant et le jugement qu’il porte sur l’écart entre « ce qu’on attend de lui et ce qu’il donne », constituent le prisme, certes déformant, au travers duquel les grandeurs à servir à l’Etat sont évaluées.

On voit ainsi que deux faits constants justifient les grandeurs à servir l’Etat. Il a triomphé comme forme d’organisation sociale cohérente et il remplit des fonctions indispensables au citoyen.

I. Triomphe de l’Etat moderne, fondement du service à l’Etat
Le pouvoir d’Etat en tant qu’il regroupe des gouvernés sous une même autorité existe depuis fort longtemps.

L’Etat moderne reposant sur un fondement rationnel, détaché de l’idéal universel et moral inspiré par la religion, s’est imposé à partir du 16 ème siècle contre la puissance médiévale.
L’Etat moderne européen est sorti vainqueur de deux batailles décisives.
La première bataille a consisté à surmonter les résistances de l’ordre médiéval d’inspiration religieuse, dans une période trouble. Il a instauré l’ordre, garanti la sécurité des biens et des personnes.
La pensée politique de Nicolas Machiavel (1469-1527), notamment dans son ouvrage de référence « Le Prince »(écrit en 1513) et dédié à Laurent de Médicis, duc d’Urbin, a fourni des leçons (cette fois-ci de vraies!) pour faire face aux périls.

Son raisonnement pragmatique, débarrassé de scrupules et d’une remarquable subtilité s’est préoccupé de renseigner sur la façon dont il convient de faire régner l’ordre et  d’établir un Etat stable, ce qui pourrait se résumer dans le concept de la raison d’Etat.
Aujourd’hui encore, on peut admettre aisément qu’il y a du « machiavélisme » dans la conduite de tout Etat.

Au plan philosophique, Thomas HOBBES (1558-1679) part de sa description de l’homme naturellement mu par le désir et la crainte, « l’homme, un loup pour l’homme » et théorise la nécessité d’un souverain moderne et légitime (le Leviathan (1651)) pour garantir la cohésion sociale et éviter « la Guerre de tous contre tous ».
On assista enfin à l’avénement d’un Etat national, fort et centralisé qui s’accommode mal avec toute forme de résistance visant à  bâtir un « Etat dans l’Etat ».

La seconde bataille a consisté à trouver un solide fondement à la protection du citoyen contre l’Etat lui-même. John Locke et Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, connu sous le nom de Montesquieu (1689-1755) y contribuèrent largement avec la théorie de la séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire.

Dans l’Esprit des Lois (publié en 1748), se fondant sur « l’expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser », Il soutient qu’il faut que, « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

Aujourd’hui, ce principe, malgré ses insuffisances, est largement admis comme limite indispensable contre l’arbitraire du pouvoir.

Une autre frontière à l’arbitraire du pouvoir est relative aux régimes politiques et se traduit par la promotion de la démocratie au détriment de l’aristocratie et de la monarchie. Allant plus loin, dans le cadre de l’Etat démocratique, la participation du peuple à l’exercice du pouvoir, fut encadré à travers la souveraineté  populaire – qui a largement inspiré le « contrat social » de Jean Jacques Rousseau (1712-1778) et la Déclaration des Droits de l’Homme  et du Citoyen de 1789- et la souveraineté nationale.
Des mécanismes juridiques inspirés de ces théories se retrouvent encore dans le corpus institutionnel dans plusieurs pays. On peut citer le mandat représentatif (comme celui de nos parlementaires) comme mécanisme résultant de la souveraineté nationale alors que le mandat impératif s’apparente à la souveraineté populaire.

Quant au suffrage universel, malgré les fortes réserves de Alexis de Tocqueville sur sa capacité « d’appeler à la direction des affaires des hommes dignes de la confiance publique», il permet  une participation démocratique et égalitaire de tous les citoyens à la désignation de ceux qui « commandent ».

A la faveur du développement des infrastructures, des marchés et des communications, l’Etat s’est renforcé y compris dans la diffusion des cultures nationales. Les rivalités entre Etats ont également pris des proportions qui ont rendu inévitables les grandes guerres.

Aujourd’hui encore, l’Etat moderne  occidental fait face à deux défis majeurs, l’intégration dans une communauté d’Etats et la mondialisation qui lui fait perdre une partie de son emprise sur sa population notamment dans la gestion de l’information.

Ces défis se retrouvent en Afrique.
Venons-en à l’Etat africain.
Il s’est généralement construit sous la forte influence de la colonisation européenne revêtant alors les contours de l’Etat moderne occidental même si les contextes de leur évolution différent sensiblement.

L’Etat, dans la plupart des pays africains dont le nôtre s’attèle et continue d’oeuvrer, avec plus ou moins de bonheur à la construction nationale. On y a souvent remarqué, fort justement, que « l’Etat précède la nation ».

Au début des indépendances, la construction nationale a souvent été brandie pour justifier la forte centralisation du pouvoir et même l’institution du parti unique, de droit ou de fait. Un regroupement fédéral a aussi été tenté entre la Haute Volta (actuel Burkina Faso), le Dahomey (actuel Bénin), le Mali et le Sénégal, qui s’est par la suite réduit aux deux derniers pays et a fait long feu.
Cette centralisation, largement justifiée par les menaces potentielles de guerres ethniques, tribales ou religieuses auxquelles pourrait difficilement faire face un pouvoir encore fragile, a permis de consolider l’Etat.

Un autre pas a été souvent franchi dans la centralisation avec le Parti-Etat. On assiste alors à une sorte de centralisation et d’uniformisation de l’opinion. Parmi les éminents membres des partis au pouvoir, on retrouve des fonctionnaires  occupant les sommets de la hiérarchie administrative et les postes ministériels. Adossés à une base populaire constituée le plus souvent dans leur région d’origine, ces fonctionnaires disposent, du fait de leur proximité avec le pouvoir politique, d’avantages matériels visibles, de possibilités d’offrir des bourses, de caser à des emplois,de voyager etc.  Leur leadership se renforce alors naturellement.

Dans ce contexte, le centre d’intérêt n’est plus l’ethnie mais le pouvoir central dont l’intervention dans la vie économique et sociale et la crainte ou le respect qu’il inspire module le comportement du citoyen. Ces derniers rejoignent le plus souvent le parti dominant pour s’approcher du pouvoir.

Le comportement des populations, accourant vers le pouvoir pour des raisons diverses, a  souvent facilité  l’implantation et l’omniprésence de l’Etat.
Valorisé, le fonctionnaire dont la nomination est annoncée à la radio. En ce temps là, le seul fait d’annoncer une information dans les médias était une source de crédibilité. Peut être que c’est toujours le cas?
Des rangs des agents de l’État, sortaient parfois de puissants opérateurs économiques dans de nombreux domaines.

Dans ce contexte des débuts de la fonction publique au lendemain des Indépendances de nos pays, les agents de l’Etat apparaissaient comme des privilégiés.
Ce tableau presque idyllique a connu de profondes mutations.
Avec le développement de l’éducation, la contestation estudiantine et politique, l’influence grandissante de l’extérieur, l’obéissance à l’Etat a été de plus en plus remise en question.
La participation plus active à la vie politique dans un contexte de pluralité médiatique a rendu plus exigeant le citoyen.
Evidement, cette construction de l’Etat n’a pas suivi la même trajectoire dans tous les pays. Elle s’est soldée dans certains d’entre eux par des guerres ethniques interminables et des menaces de sécession d’une ampleur préjudiciable à la cohésion de l’ordre étatique.

D’autres défis se posent à l’Etat qui réduisent sensiblement ses capacités d’intervention parfois même, mettent en doutent sa légitimité. Il en est ainsi des coups d’Etat et de la faiblesse du dispositif électoral.

Au cours de cette évolution, l’Etat rencontre souvent de sérieuses difficultés pour asseoir définitivement sa suprématie.
Il est toujours obligé de compter avec d’autres légitimités comme les partenaires sociaux notamment ceux qui portent les revendications de leurs mandants, la société civile, les puissants groupes privés y compris politiques, les groupes religieux etc.
Avec ces « partenaires » ou « voisins » qui s’imposent, l’Etat se trouve dans une situation dans laquelle elle évite la confrontation et se sent obligé de chercher à « faire plaisir » pour échapper à la cristallisation des divergences.

Il est évident que, dans ces conditions, le rapport entre l’Etat et le citoyen reste un enjeu important. Le citoyen tantôt se met sous l’aile protectrice de l’Etat, tantôt sous celui du « voisin » de l’Etat en position de force.
On voit donc que lorsque l’Etat s’acquitte de sa mission avec bonheur en « donnant ce qu’on attend de lui  », le citoyen se sentant redevable de la collectivité à travers l’Etat qui l’incarne, se rend plus disponible à le servir.
Finalement, pour le citoyen, la suprématie de l’Etat se mesure dans sa façon de mener à bien les missions qui sont les siennes. C’est justement ces fonctions de l’Etat qui fondent la grandeur à le servir.

2. Fonctions de l’Etat, fondement du service à l’Etat
Il est généralement admis qu’il revient à l’Etat de remplir certaines fonctions traditionnelles se réduisant à « un noyau fort restreint d’attributions, les seules dont l’exercice est indispensable au fonctionnement normal d’une société et que nul autre pouvoir ne saurait assurer » (R. Rémond). On peut citer la sécurité intérieure, la justice, la production législative, la défense nationale.  Mais ce rôle n’a pas été statique.

Plusieurs facteurs ont contribué à l’accroissement de son intervention dans la vie économique et sociale. Ils tiennent à l’intervention de l’Etat pour réaliser de grands travaux (chemins de fer, infrastructures routières,), à la taille des moyens et effectifs sous sa gestion ou simplement à des circonstances exceptionnelles fortes de menaces  sur la société (guerre, crise, etc).

Dans les pays insuffisamment développés, notamment en Afrique, surtout à la faveur des premières années d’indépendance, l’Etat s’est improvisé plusieurs métiers : « banquier, entrepreneur, assureur etc » et même jardinier. Cette intervention obéissant « à un impératif de développement » avec « une forte présence de financement public des investissements » place souvent l’Etat dans une situation où il « embrasse trop » donc « mal étreint » .

Dans un mouvement inverse, des initiatives ont été également prises pour rationnaliser l’intervention de l’Etat à travers une réduction de son périmètre de compétence au profit d’autres collectivités publiques ou du secteur privé. La promotion des réformes visant à  moderniser l’Etat entre également dans ce cadre.

Ces efforts d’adaptation suppose une organisation adéquate de l’Etat pour une meilleure prise en charge des fonctions qui lui sont dévolues. Evidemment, la soumission de l’Etat au droit viendra encadrer l’action délicate de la puissance publique. Toutes ces dispositions rendent compte des moyens que se donne l’Etat pour révéler le mérite qu’il a d’être servi par le citoyen.

1. Une organisation au service du citoyen

Quelle que soit l’étendue des fonctions de l’Etat, elles sont organisées pour répondre aux préoccupations du citoyen. Cette organisation porte non seulement sur la répartition des fonctions entre les différents démembrements de l’Etat mais encore, elle doit consacrer sa soumission au droit

1.1.          Une répartition cohérente des fonctions diverses et indispensables

Certaines fonctions régaliennes classiques de l’Etat (sécurité, défense, justice) ne lui sont pas disputées. Le citoyen ne se prive d’ailleurs pas d’y recourir à satiété. Le fait d’appeler le 17 pour alerter la Police ou le 18 pour obtenir le secours des Sapeurs pompiers en cas d’incendie, apparaît comme un geste banal. Egalement, le fait de porter plainte (ou presse -c’est selon-) pour rétablir un droit bafoué est fréquent. Les rôles des tribunaux ne désemplissent pas.

Ces services sont à la charge de l’Etat central. Il en assure le fonctionnement et la continuité en allouant les budgets nécessaires (ou du moins disponibles) aussi bien pour leur fonctionnement que pour les investissements indispensables.

En bénéficiant de ces services de l’Etat, le citoyen ne s’attache pas toujours au fait qu’en réalité, en les rendant à sa portée, l’État remplit une des fonctions  visant à lui garantir  l’ordre public et la sécurité. Ce besoin, souvent considéré comme déjà acquis, est pourtant indispensable au citoyen pour  mener à bien toute autre activité économique ou sociale.

Le citoyen ne s’y trompe jamais. En effet, chaque fois que cette activité est menacée par des facteurs qu’il n’a pas les moyens de juguler, son réflexe est de s’adresser à l’Etat  sous forme de récrimination ou de doléance. Il ne cherche pas à fonder cette réclamation sur la responsabilité éventuelle de l’Etat dans l’avénement du fait dommageable. C’est une sorte de « responsabilité sans faute » qui pèse sur la puissance publique.

Que la cause lui soit endogène ou non, l’ardeur revendicative du citoyen exigeant n’est pas refrénée.  La récente crise financière de 2008 en est une parfaite illustration. Des mesures exceptionnelles avaient été prises par l’Etat pour limiter les conséquences fâcheuses de la dépression sur l’économie réelle.

C’est dans l’exercice de sa fonction sociale qu’on perçoit plus directement la grandeur qui s’attache au fait de servir l’Etat. En participant  à la prise en charge des soins du citoyen couvert par la protection sociale ou bien en implantant des structures de santé  fonctionnelles pour les populations, l’Etat exprime son utilité.
Il en est de même lorsque l’Etat s’engage dans la lutte contre des maladies contagieuses, assure l’hygiène et la salubrité publiques, soutient les personnes vulnérables comme les  femmes enceintes ou les personnes du troisième âge.

Le financement de l’éducation publique (sans oublier la subvention accordée à  l’enseignement privé) ainsi que la création d’emplois par l’Etat notamment à travers le recrutement des agents de la fonction publique, constituent des fonctions étatiques à impact social direct.

Deux fonctions  qui occuperont à l’avenir une place de plus en plus importante dans la vie de la communauté mérite une attention particulière : l’environnement et le climat des affaires.

Les questions liées au cadre de vie avec les phénomènes récurrents tels que les inondations, les changements climatiques, les séismes et autres calamités, appellent de la part de l’Etat une  organisation pertinente et un plus fort dynamisme. Cette fonction traduit de façon éloquente l’intervention bénéfique de l’Etat au service du citoyen.

L’aménagement d’un environnement des affaires de classe internationale pour attirer et fixer les investissements constitue une nouvelle fonction de l’Etat dictée par la configuration des capitaux dans le monde d’aujourd’hui. Il s’y est déjà engagé depuis plusieurs années à travers le Conseil présidentiel de l’Investissement et en particulier, l’activité menée par les  groupes de travail de l’APIX.  L’exercice de classement du Sénégal dans les grilles du Doing Business de la Banque Mondiale offre une visibilité internationale de notre pays indispensable au financement du développement.
D’autres fonctions étatiques, non moins sensibles, ont une incidence parfois dramatique, sur la marche d’un pays lorsque l’État faillit dans leur mise en oeuvre. Il s’agit notamment de l’organisation d’élections.

Chaque fois que l’Etat, insuffisamment préparé, délègue ou associe à l’organisation d’élections des structures ad hoc, le risque est grand, de voir des contestations nourries émailler le processus. Là aussi, le citoyen pour qui l’Etat doit aménager les conditions de participation au choix des élus, s’en trouve frustré.

La grandeur à servir l’Etat est largement étayée par ses fonctions diverses et indispensables au citoyen. Par ses fonctions, l’Etat est omniprésent. Il ne doit pas être omnipotent. Pour lui éviter une présence dominatrice étouffante, le portefeuille des fonctions de l’Etat a souvent été  revisité, ce qui n’a pas manqué de susciter la recherche constante d’une meilleure répartition.

Pour répartir  les nombreuses fonctions étatiques, plusieurs mécanismes peuvent être adoptés. Entre Etats, il peut s’agir d’un regroupement  sous forme de fédération avec un partage des compétences entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés. L’Etat fédéral pouvant disposer d’une compétence de droit commun ou d’une compétence d’attributions.
Une confédération d’Etats est également possible.

Par le biais de la décentralisation, certains domaines de compétence sont transférés aux collectivités locales qui sont alors administrées de façon autonome par des élus locaux. Au Sénégal, depuis 1996, neuf domaines de compétences sont transférés par l’Etat central.

Certaines fonctions de l’Etat peuvent également être déléguées à des autorités de régulation pour arbitrer de façon équitable entre les acteurs. Il en est ainsi pour le secteur des télécommunications, des marchés publics, de l’aviation civile, de l’électricité etc.

Au total, que les fonctions étatiques soient exercées directement par l’Etat central ou confiées à d’autres entités, il est constant que par sa présence, par son omniprésence devrais-je dire, l’Etat renvoie à la vivante peinture que Birago DIOP fait des Morts dans son célèbre poème « Souffle des Ancêtres » :
«Ceux qui sont morts ne sont jamais partis », écrivait-il, « Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule »
L’Etat aussi est dans la Case et dans la Foule.

Dans la famille, lieu par excellence pour l’inculcation des valeurs, les contours de l’Etat et de son rôle sont dessinés pour les enfants.

Dans la société, lieu de consolidation ou de déstructuration de l’éducation familiale notamment lors de la formation et à l’occasion de la participation à la vie publique, surtout associative, l’apprentissage de la vie citoyenne est fait.
L’obéissance à l’Etat ne doit pas s’analyser  comme un comportement  citoyen ponctuel  car toutes les fonctions de l’Etat ont une égale dignité.

On peut aisément accepter l’autorité de l’agent de police qui vous fait signe de passer au coeur d’un embouteillage.
On peut promptement  accueillir  avec soulagement le secours du service de lutte contre l’incendie.

Par contre, on est tenté de rechigner à soumettre ses bagages à l’oeil inquisiteur de l’agent des douanes ou à reverser la TVA collectée auprès de ses clients ou encore à verser les cotisations sociales des travailleurs durement consenties pour les jours de maladie ou la retraite.

Les servitudes, aussi sont de la partie.

Deuxième partie :
EXIGENCES POUR MIEUX SERVIR L’ETAT

Tout est dans l’homme. Acteur principal de l’action administrative, il doit incarner une certaine idée de l’Etat.
De plus, l’encadrement de son action par le droit viendra protéger le citoyen contre l’arbitraire.

1. Des ressources humaines de qualité dédiées au service de l’Etat

Il s’agit principalement des  fonctionnaires.

Les fonctionnaires  sont régis par une situation légale et règlementaire résultant du Statut général de la Fonction publique et  par d’autres statuts particuliers ou spéciaux.
Recrutés en principe sur concours, ils sont formés et employés  par l’Etat dans les conditions fixées par des textes.

D’autres agents non fonctionnaires  contractent avec l’Etat et sont soumis à certaines dispositions du Code du travail.

Les fonctionnaires disposent de droits et garanties. Ils sont organisés en corps. Ils disposent de grades subdivisés en classes et échelons et obéissent à un système de notation et d’avancement. Des règles d’adéquation entre leur grade et l’emploi occupé leur sont appliquées.

Dans le système sénégalais, hérité de la colonisation française, les fonctionnaires entrent dans la fonction publique et sont destinés à y demeurer jusqu’à la fin de leur carrière c’est le « système de la carrière » qui induit une certaine stabilité de l’emploi.

Par opposition à ce système, on trouve dans certains pays notamment anglo saxons, le « système de l’emploi » dans lequel l’agent est recruté au vu de capacités identifiées pour occuper un emploi précis pour une durée déterminée.
Dans le système de la carrière, ce mode recrutement existe mais n’est pas généralisé. (agences)

La fonction publique peut également s’organiser de façon autonome dans certains secteurs, par exemple pour la santé en France. On peut également avoir une fonction publique locale pour les entités décentralisées.

La mobilité des fonctionnaires est organisée non seulement à travers les fréquents mouvements de personnel dans certains corps mais également par le biais des sorties provisoires comme le détachement et la disponibilité.
Le souvenir des départs  volontaires, souvent suivis de retour involontaire, incitent à la prudence les agents publics…..
Les agents publics participent activement à la conduite à la production normative, à la fourniture de services aux usagers et à la conduite des changements sous la responsabilité de leurs supérieurs hiérarchiques..

Le premier défi est d’avoir une claire conscience du rôle de l’Etat. Cela signifie que les fonctions qui sont dévolues à l’institution étatique et les missions qui en découlent doivent être parfaitement comprises par l’agent public. Il est évident que par le biais de la formation permanente notamment, l’Etat doit permettre à l’agent d’atteindre cet objectif de base.

Malheureusement, il est trop souvent arrivé que l’agent public, par une sorte d’appropriation personnelle des taches et moyens qui lui sont confiés, porte atteinte à la continuité du service public.

L’image que véhicule l’agent public est d’une importance capitale surtout en cas d’apparition publique.  « La façade d’une maison n’appartient pas à celui qui la possède, mais à celui qui la regarde » disait fort justement  Jacques FOUCELLE.

Le principe de neutralité impose à l’agent public d’exercer ses fonctions, dans les mêmes conditions, à l’égard de tous les administrés.
Les opinions religieuses ou politiques ne doivent pas se manifester, y compris à travers les posters. Une interprétation tendancieuse d’un usager insatisfait peut jeter la suspicion sur la neutralité de l’agent et partant du service.

Le risque de développement d’un esprit partisan est également grand pour l’agent public. La confusion entre la politique et la technique est préjudiciable à l’Etat.

L’administration est organisée de façon hiérarchique. Ainsi, l’agent public doit obéissance au supérieur hiérarchique. Il doit au contraire refuser d’obéir à un ordre manifestement illégal et contraire à un intérêt public.

Les fonctionnaires doivent également faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. En effet, ces informations ne sont pas leur propriété personnelle. S’ils ont pu en prendre connaissance, c’est parce l’Etat les a placés dans une position  précise pour le servir. Donc, ces informations doivent « servir à servir l’Etat ». Elles ne doivent être partagées qu’avec les personnes qui doivent légalement et par nécessité de service en prendre connaissance. Bien évidemment, la communication des documents administratifs, indispensable à l’usager du service public, fait l’objet d’une réglementation.

Comme nous aimons bien causer dans notre pays, la circulation de l’information confidentielle ou secrète se fait à grande vitesse. Les murs n’ont pas d’oreilles, c’est sûr, ce sont les langues qui n’ont pas de frein.

Encore qu’il est peut être aujourd’hui pertinent de se poser des questions sur le sort du secret avec les sites web publiant des documents et organisant des fuites d’information tout en protégeant leurs sources.

Dans le même ordre d’idées, il doit faire preuve de réserve dans l’extériorisation de ses opinions notamment politiques. Cette obligation est particulièrement forte pour les titulaires de fonctions importantes et sensibles au sein de l’Etat.

En effet, directement concernés par l’exécution de la politique de l’Etat, l’expression publique de ces cadres peut  nuire aux intérêts de l’Etat.

La compétence technique, le culte de l’excellence, la rigueur et le professionnalisme constituent des  facteurs clés de succès dans l’action publique. L’Etat doit veiller, pour répondre aux préoccupations des citoyens, à la qualité des ressources humaines à sa disposition.

L’un des challenges les plus importants de l’agent public est constitué par la probité. Ce devoir, complémentaire à l’obligation de se consacrer à ses fonctions, postule que l’agent public ne doit pas utiliser les moyens du service à des fins personnelles. Il pèse sur l’agent public « l’obligation de servir l’Etat ». En toutes circonstances, il est à la disposition de l’Etat pour la réalisation des missions de service public.
C’est pour cette raison, qu’il doit s’y consacrer.

Cette obligation fonde l’interdiction du cumul d’un emploi public et d’une activité privée lucrative. Le risque de conflit d’intérêts  et de manque de loyauté vis à vis de l’Etat que ce cumul comporte justifie amplement l’adoption de l’interdiction de principe.

Mais force est de constater que la généralité de cette interdiction constitue un obstacle à sa mise en oeuvre effective. Cette piste de réflexion devrait intéresser les étudiants en droit public.

La promotion de l’éthique et de la transparence ainsi que la lutte contre la corruption, doivent continuer à se traduire par un dispositif cohérent efficace notamment en matière de commande publique.
L’analyse des comportements porteurs de pratiques de mauvaise gouvernance doit servir à renforcer le dispositif légal et réglementaire de lutte contre la corruption.
Dans le même temps, les  meilleures pratiques dans ce domaine doivent être valorisées.
Evidemment, le dispositif de contrôle est essentiel car l’importance de cette question pour le service à l’Etat ne fait plus de doute.

La gouvernance publique est un facteur de paix. Pour l’illustrer, je vais me contenter de citer Madame Yu DAN, Professeur à l’Université de Pékin, dans son livre « Le Bonheur selon Confucius »  :  « La présence très ostensible d’une catégorie de personnes devenus soudain extrêmement riches fait que les gens ordinaires peuvent éprouver un sentiment d’injustice » .
Il est remarquable de noter que le sous titre du livre est « Petit Manuel de Sagesse universelle »

Pour la prise en charge effective de ces obligations essentielles pour le service à l’Etat, il convient de souligner que plusieurs facteurs sont limitants.
En effet, malgré les efforts notables dans l’aménagement des conditions de travail, la rémunération, la couverture sociale, les motivations morales à travers la distinctions honorifiques, l’agent public nourrit encore des attentes.
« Il paye le prix de la stabilité de son emploi », me dira-t-on. Le sacrifice ne doit pas conduire à la précarité de la situation de l’agent public.
Voilà ce qui fait la complexité de la position de l’agent public.
Voilà ce qui explique sans le justifier, beaucoup de dérives  constatées dans les services publics ;
Voilà ce qui explique sans le justifier, cet esprit pernicieux de débrouillardise qui transforme certains agents publics en affairistes
Voilà ce qui explique sans le justifier, l’absentéisme de certains agents publics ;

Voilà ce qui doit conduire à valoriser le remarquable travail des agents publics qui ne comptent plus les heures passées au bureau, loin de leurs familles, sans moyens ni loisirs, et, malgré tout, viscéralement attachés à l’intérêt public.

L’esprit de sacrifice et l’engagement de l’agent public doivent sans cesse être récompensés pour garantir le bon fonctionnement de l’administration.

L’obéissance à l’Etat doit se traduire par une attitude d’acceptation générale  de la légitimité d’un ordre dont la vocation est de produire le bien être économique et social pour le citoyen.
Evidemment, cette soumission ne s’accommode pas avec la caution de l’arbitraire.  Elle est encadrée par le droit.

1.2. La  soumission de l’Etat au droit

« Armé d’une vaste puissance », l’Etat dispose de prérogatives dont l’exercice peut porter préjudice au citoyen qu’il est censé servir. L’Etat peut également être gêné par la limite constituée par le respect des droits et libertés des particuliers. En soumettant l’Etat au droit, les moyens juridiques d’arbitrer entre l’intérêt général et les intérêts particuliers sont offerts.

En effet, à travers le principe de constitutionnalité et le principe de légalité, le pouvoir d’Etat est encadré et orienté vers la satisfaction de l’intérêt général et la stabilité des institutions.

Les mécanismes de soumission de l’Etat au droit, notamment de son bras armé, l’administration,  se retrouvent largement dans les règles du droit administratif.

Certaines règles visent à renforcer l’Etat afin de lui permettre de garantir la continuité du service public tandis que d’autres ont pour objectif de protéger l’administré contre les dérives de l’administration ou des individus qui en assurent le fonctionnement. Il y a là un mécanisme à double détente.

Le premier mouvement renforce les capacités de l’Etat pour qu’il s’acquitte convenablement de sa mission. L’Etat a besoin de disposer de prérogatives suffisantes de puissance publique. Il en est ainsi dans plusieurs domaines, notamment le contrôle minimum du pouvoir discrétionnaire. L’acte  administratif vicié n’étant annulé qu’en cas d’erreur manifeste d’appréciation. On peut aussi noter les cas dans lesquels le juge n’annule pas l’acte administratif car il estime que les circonstances exceptionnelles justifient la violation faite par l’administration. En matière contractuelle aussi, l’acceptation du fait du prince renforce la position de l’administration dans le lien contractuel.

Ces prérogatives sont contrebalancées par des limitations. C’est la seconde détente. On peut l’illustrer à travers la  sanction du détournement de pouvoir ou de procédure, le bannissement de  la voie de fait, la surveillance stricte des actes détachables et l’engagement de la responsabilité de l’Etat entre autres.

Finalement, on peut dire que le droit administratif est la musique de l’intérêt général, il définit le rythme de la recherche de l’équilibre avec les intérêts particuliers

L’encadrement juridique est  à parfaire pour une meilleure protection du citoyen à travers la sensibilisation, la réduction du coût d’accès à la justice, etc
Pour ne pas prolonger la déception de notre  «Huron au Palais Royal » et corriger les limites du sursis à exécution, la réflexion pourrait être engagée pour l’adoption du référé administratif à l’instar de la Loi française du 30 juin 2000  relative  au référé devant les juridictions administratives.
A travers cette procédure d’urgence permettant de neutraliser une décision administrative potentiellement illégale, on pourrait espérer une plus grande effectivité de la soumission de l’administration au droit.

C’est vrai ! Le droit doit jouer sa partition pour voir l’Etat mieux servi pour mieux servir le citoyen.

Mais la pleine conscience du rapport moral entre l’Etat et le citoyen n’est pas négligeable.

Lorsque tous les citoyens mettront en exergue l’obligation de  résister à tous les facteurs limitant leur capacité de servir l’Etat convenablement et lorsque ensuite, ils se rappelleront les efforts consentis par l’Etat pour leur sécurité, leur formation, leur protection ou même leur fierté nationale.
Lorsqu’ils s’imposeront une obligation de gratitude envers l’Etat, alors, l’ancrage culturel de l’Etat connaîtra des pas importants.

Oui, résister….à son entourage proche et lointain, aux pressions de tous ordres, à la gloriole individuelle et à l’absence de culture étatique ;

Résister à la confusion entre la grandeur de l’Etat et la faiblesse des hommes qui, provisoirement, peuvent avoir la charge de conduire la recherche de la satisfaction du citoyen.

Ensuite…. Rembourser
« Qui paie ses dettes, s’enrichit » a-t-on coutume de dire. Ce dicton de bon sens doit inspirer tous ceux qui ont conscience que l’Etat en tant fournisseur de service public leur a, un jour, servi à quelque chose.  Pas seulement  un jour, mais toujours et pour toujours.

Rembourser au « Maître », celui qui vit du travail de son esclave. Selon Hegel, ce « Maitre » deviendra « l’esclave de son esclave », celui qui travaille en son nom et pour son compte et qui finit par le faire oublier et devenir le Maître ». Ainsi donc, le Serviteur de l’Etat travaille pour lui même.

Il travaille pour sa famille, sa patrie et surtout pour les générations futures.
Le serviteur de l’Etat qui, en posant un acte quelconque, garde à l’esprit qu’il est entrain de participer à la construction de la demeure de ceux qui ont encore l’âge de l’insouciance et de ceux qui naîtront demain, a  conscience de participer à une oeuvre de grandeur.

Tour à tour, Maître et Esclave, l’Etat doit aider à rompre avec l’esprit du « Casses tout, c’est l’Etat qui paye ».. Ce sont les générations futures qui paieront car nous leur auront laissé un lourd passif en refusant de rembourser nos dettes envers l’Etat.

La réflexion sur le service à l’Etat dans le contexte d’un pays en développement doit se poursuivre. Ses résultats doivent être disponibles pour les citoyens notamment la jeunesse. C’est seulement à partir de ce moment qu’on peut espérer voir se développer chez eux le réflexe d’un équilibre entre l’intérêt général et les intérêts particuliers.

Mesdames
Messieurs
Au moment où je me résous à conclure mon propos, je souhaite vivement que votre déplacement n’ait pas été vain. Pour me combler, je vous invite à retenir et à méditer cette phrase, composée d’un nom commun de choses et de trois verbes à l’infinitif :

« Servir l’Etat, c’est résister et rembourser »

Je vous remercie de votre aimable attention

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